#LaFiancéeSurLaTouche

Lisez les premiers chapitres de #LaFiancéeSurLaTouche…

#LaFiancéeSurLaTouche est disponible en version e-book (Kindle, Google Play, Kobo, iBooks, la Fnac et plus) et papier.

#LaFiancéeSurLaTouche Tout ce que Sorcha O’Connor veut pour Noël, c’est que sa vie se transforme en une comédie romantique… Mais en plus sexy. Ryan Sawyer a lui quelques souhaits sur sa liste. Premièrement, il veut rester loin de Swans Cove. Deuxièmement, il veut reprendre sa carrière dans la Ligue nationale de hockey. Et troisièmement, il veut Sorcha. Il l’a toujours désirée et la désirera toujours.

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L’étincelle pour cette histoire est venue à un moment où je voulais écrire quelque chose qui me fasse sourire.

Ce livre est donc destiné à tous ceux qui ont besoin d’un sourire.

Et à mon mari : peut-être qu’un jour, à notre auberge (Bed & Breakfast) que nous n’avons pas encore, quelqu’un dira : « Oh, tu es cet Alex ».

LE JOURNAL DE SORCHA – J-12

Cher journal, ou cher lecteur du futur si ce journal est découvert dans des centaines d’années, ou toi l’extraterrestre cherchant des informations sur l’humanité (j’ai tellement de questions à te poser) : Noël est dans l’air.

Enfin, pas Noël à proprement parler.

Mais du beurre fondu, de la cannelle et… Serait-ce du gingembre ? Oui, du gingembre et des noix de pécan confites. Aisling est en train de mettre au point une nouvelle recette de tarte aux pommes avec un crumble de sucre et de noix pilées sur le dessus, et elle aura besoin de quelqu’un pour la goûter afin de s’assurer que la pâte feuilletée contient assez de beurre et que les pommes caramélisées fondent dans la bouche. Ce n’est là qu’un des avantages d’avoir ma sœur, Aisling, comme colocataire. Elle est déterminée à trouver la recette parfaite pour attirer plus de clients à la boulangerie. La boulangerie de nos parents. Notre héritage familial qui est proche de la faillite. Tout comme moi.

À cause de moi.

Et le modèle merdique que j’ai devant moi ne fera pas décoller ma carrière inexistante : l’encolure carrée n’est pas aussi originale que je le voudrais, tandis que les détails pailletés du corsage éclipsent la délicatesse intemporelle de la dentelle. Et ne me faites même parler du dos. Le croisillon que j’ai dessiné, pensant qu’il ajouterait une touche fantaisie, plombe tout le concept. Cette robe n’est qu’un brouillon et est bien loin d’incarner une romance éternelle. Peu importe le nombre de fois où je réarrange le tissu sur le mannequin près de ma machine à coudre, la douceur du tulle et le velouté de la soie sous mes doigts ne remplissent pas mon puits de créativité.

Rien ne m’inspire.

J’ai perdu la main. Et cette liste des 31 choses à faire avant le 31 décembre est la seule chose qui me donne un semblant de courage. Si je coche tous les éléments de la liste, le sentiment familier d’échec qui me prend à la gorge pourrait disparaître, remplacé par l’inspiration.

Cette liste, je peux la gérer. Tout le reste me glisse entre les doigts.

Alors attaquons-nous à cette liste.

Compte à rebours : J -12… Douze jours avant le réveillon de la Saint-Sylvestre et ce qui aurait dû être mon premier anniversaire de mariage.

Chère lectrice, cher lecteur, j’ai une grande nouvelle : je peux maintenant écrire « premier anniversaire de mariage », sans qu’un découd-vite n’arrache les points de couture qui me maintiennent en une seule pièce. Vive moi ! C’est peut-être parce que Nathan n’a pas été choisi pour être le célibataire le plus convoité d’Amérique. L’émission Amour Toujours a décidé de choisir la rock star David Jay et, grâce à cette décision, je ne me retourne plus dans mon lit toutes les nuits. Je ne souhaite pas le malheur de Nathan, mais voir la vidéo où il me plaque devant l’autel en boucle chaque semaine à la télévision n’est pas ma définition du plaisir. Et ça n’aurait pas débloqué ma créativité.

Où j’en suis avec la liste des 31 choses à faire avant le 31 décembre : elle est presque terminée.

Demain, le représentant de Rêves de Mariée devrait me dire si leur magasin phare d’Annapolis va présenter des robes O’Connor parmi leur collection, celles que j’ai créées avant que ma réputation de créatrice de robes de mariée ne soit démolie par les réseaux sociaux et les critiques. Et la montagne de stress qui s’accumule dans ma poitrine est impossible à ignorer. Si Rêves de Mariée rompt notre accord, il sera non seulement plus difficile de payer les factures, mais ce sera le coup de grâce pour les rêves de Mamó me concernant. Ma grand-mère m’a appris tout ce que je sais sur la couture et la magie que l’on peut créer avec différents motifs et tissus. Elle m’a aussi appris à croire en l’amour. Et bien que l’année dernière ait mis ce concept à rude épreuve, demain soir, je vais à mon tout premier rendez-vous arrangé. Moi, la fiancée larguée, à une blind date !

Après, il me restera cinq choses à rayer de ma liste, ce qui est tout à fait faisable. Cher journal, te souviens-tu de mon article sur la marche de 10 kilomètres sur le Bay Bridge ? À quel point ce pont est haut ? À quel point ça semblait long et difficile ? (C’est ce qu’elle a dit.)

Dernière recherche Google (en rapport avec la liste) : Ryan Sawyer a-t-il déjà eu un rendez-vous avec une inconnue arrangé par un de ses copains ? Apparemment, oui. Une fois. Un de ses coéquipiers lui a arrangé le coup et il est sorti avec elle pendant trois mois. Eh oui, j’ai aussi jeté un œil sur les réseaux sociaux de son équipe. Mais seulement pendant cinq secondes. Il n’a pas joué la majeure partie de la saison dernière après avoir été impliqué dans une bagarre qui a aggravé sa blessure au genou, et sa dispute avec le propriétaire de l’équipe fait encore parler d’elle dans le monde du hockey, mais il s’accroche à son équipe. Reprendre contact avec Ryan est sur ma liste depuis qu’il a plongé dans l’océan Pacifique pour sauver une petite fille. Quand il a été englouti par les vagues, mon cœur s’est arrêté. Jusqu’à ce que Ryan réapparaisse en recrachant de l’eau avec la fillette dans ses bras. Après avoir regardé cette vidéo plus de cent fois, l’effroi qui me glaçait le sang ne s’est atténué que lorsque j’ai ajouté « Reprendre contact avec Ryan » à ma liste. Il est temps de faire la paix. Cela n’a rien à voir avec le fait que mon cœur et mon esprit ne s’accordent pas à l’idée d’arrêter de penser à lui non-stop.

Bon, continuons…

Pourquoi ai-je ajouté un rendez-vous amoureux à ma liste ? Bonne question, petite Sorcha. Peu importe ce qui s’est passé, je veux croire aux histoires d’amour qui finissent bien. En plus, les blind dates, comme ils disent dans les films, peuvent être amusantes. Pas vrai ? Les comédies romantiques m’ont appris que les blind dates peuvent donner naissance à des histoires d’amour féériques.

Si je vérifie sur le site AlloCiné, il vous montre… Oh non.

L’un des films en tête du classement des « films et séries TV les plus populaires pour les rendez-vous » est le film Zodiac de 2007… Sur le tueur du Zodiaque.

Comment ? Pourquoi ? Attends… Ça veut dire que je ne devrais pas aller à cette blind date ?

Respire à fond, Sorcha, respire à fond.

Demain : c’est parti. On ne recule pas. On le fait.

La blind date. Pas le film sur le tueur du Zodiaque.

CHAPITRE 1 – SORCHA

Lorsque Tiramisu, le chat, a miaulé à quelques centimètres de mon visage bien avant la sonnerie du réveil, son haleine annonçant « j’ai dévoré la boîte de Friskies » n’était pas l’unique raison de mon grognement. Un vent de panique s’est levé au fond de mon esprit et après avoir fixé le ventilateur du plafond pendant ce qui m’a semblé être une éternité, j’ai renoncé à dormir. Même ma tasse préférée de café brûlant mélangé à de la crème italienne sucrée n’a pas réussi à calmer l’anxiété qui agitait mon estomac. Je me suis quand même installée devant mon ordinateur avant le lever du soleil et j’ai travaillé sur ma liste de tâches quotidiennes. Entre la mise à jour d’une base de données pour une agence immobilière du Connecticut, la réparation d’un des t-shirts préférés de ma nièce et les recherches pour un podcast sur des crimes qui a commencé il y a deux mois, j’ai à peine eu le temps de déjeuner et je n’ai certainement pas pu retravailler le patron que j’ai raté hier.

Tout au long de la journée, un sentiment de malheur imminent a persisté, mais j’ai ignoré tous les signaux : Tiramisu a craché une boule de poils sur mon tulle préféré, ma sœur a raté un soufflé au chocolat, laissant une odeur de brûlé dans tout le bâtiment. L’eau chaude de la douche est même devenue glaciale juste au moment où je me rinçais les cheveux.

Il est impossible que j’ignore les signes à présent. Pas après avoir reçu cet e-mail de Rêves de Mariée.

Il n’y a pas moyen que j’aille à ce rendez-vous.

Non. Ça n’arrivera pas.

À la place, je vais me plonger dans le film Zodiac en sirotant du chianti. Ça semble être la meilleure façon de terminer cette journée pourrie.

Lorsque Tiramisu saute sur ma table à dessin, je tends la main vers lui.

– Viens ici, Tiramisu. Psitt… Viens ici.

Malgré ma voix aiguë et cajoleuse, mon chat ne me jette même pas un regard de pitié, mais se dirige vers le panneau suspendu au-dessus de la machine à coudre. Après l’avoir reniflé, son humeur change et il s’attaque au ruban rose, tenant le panneau avec ses dents. Le logo de ma boîte en faillite lui donne-t-il aussi des cauchemars ?

Le panneau bleu en bois avec les mots « Heureux pour toujours » devrait être dans le dictionnaire à côté de « rêves brisés ». Un jour, vous croyez aux contes de fées. Et le jour suivant, Bibbidi-Bobbidi-Boo, votre seul espoir de sauver votre entreprise refuse de vendre vos créations pour la collection printemps de leur magasin phare. Rêves de Mariée avait l’habitude de mettre en avant l’utilisation complexe de la dentelle française dans mes robes. Maintenant, ils considèrent qu’une collaboration avec moi est « préjudiciable pour leur image ».

Une aiguille pointue coud un fil de défaite autour de ma gorge, une fois, deux fois. Respire profondément, Sorcha. Tu vas trouver une solution. Ne pleure pas. Mais mes larmes se fichent de mon discours d’encouragement. Je les essuie d’un geste rapide, laissant une trace de mascara noir et d’eyeliner sur ma main.

Putain. Putain. De. Merde.

Les griffes de Tiramisu se coincent dans le panneau et il tire dessus si fort que le panneau s’entrechoque sur ma machine à coudre, mais ne tombe pas. Après avoir reniflé une dernière fois avec dédain le panneau en bois, il se retourne et saute sur mon lit.

Mon regard s’arrête sur la planche de bois à la fenêtre, et l’envie de la jeter dehors gronde en moi. Qui sait ? Elle pourrait atterrir sur un bel étranger de New York qui s’est perdu dans notre petite ville. Je le convaincrais de quitter son travail et nous ouvririons un magasin de vêtements de seconde main ensemble. Chaque année, à la veille de Noël, on raconterait notre histoire d’amour féerique à nos petits-enfants : Il était une fois votre grand-mère qui, se noyant dans les dettes, jeta le panneau que vous voyez au-dessus de la cheminée et il tomba sur la tête de pépé. Au lieu de lui faire un procès, pépé l’emmena boire un vin chaud. Vous connaissez la suite.

Mais dans mon cas, le panneau exploserait le crâne du bel inconnu et après une visite aux urgences, il m’attaquerait en justice. Les influenceurs, les journalistes et les gens du monde entier répandraient la nouvelle sur Internet : #LaFiancéeSurLaTouche condamnée pour avoir attaqué un avocat avec une planche en bois.

Je ferais faillite. Encore une fois.

Pour ne pas tenter le diable, je redresse le panneau et je glisse sur le sol entre ces robes qui ne deviendront jamais ni un beau souvenir ni un héritage familial, qui n’orneront jamais les pages d’un album de mariage ou qui n’obtiendront jamais leurs propres hashtags.

Tout a commencé par un hashtag…

Mon propre conte de fées numérique.

Il était une fois un hashtag, la princesse numérique a vu tous ses rêves se réaliser.

– Sorcha ?

Aisling frappe à ma porte, que j’ai laissée entrouverte après m’être faufilée dans la cuisine pour voler de la pâte.

– As-tu décidé de ce que tu… ?

Sa bouche ne reste pas ouverte en raison du bordel dans ma chambre, parce qu’elle a vu pire, mais elle fait le tour de la pièce pour examiner mon antre. Trois tasses sont en équilibre sur ma table de nuit : le résultat d’heures supplémentaires et d’une tendance au désordre lorsque je suis soumise à des délais serrés. Du tissu pend un peu partout et des papiers froissés couverts de croquis bâclés sont éparpillés, oubliés tout comme ma carrière de créatrice de robes de mariée.

– Qu’est-ce qui se passe ? 

Sa main indique l’endroit où je suis affalée.

– Je n’y vais pas. 

Je relève le menton, regarde les robes.

– Je n’y vais pas, Aisling.

Ma voix vacille et j’effleure du bout des doigts ma robe préférée : de la dentelle crème avec un décolleté et un dos nu. Celle que j’aurais pensé porter le jour de mon mariage avec le voile de Mamó. Au lieu de cela, j’ai confectionné une autre robe, même si Sophie, ma meilleure amie et organisatrice de mariage, a remis en question mon choix. Elle m’a dit que je devais regarder au fond de moi-même. Je lui ai dit de s’occuper des canapés et de la palette de couleurs. Et puis je me suis excusée d’avoir été dure avec elle.

Ça allait être le mariage de l’année.

J’aurais dû porter du Vera Wang. Si mon futur mari Nathan s’était enfui alors que je portais une Vera Wang, personne n’aurait sourcillé.

Cette vidéo ne serait pas devenue virale. J’aurais toujours une vie.

Des milliers de petites aiguilles s’enfoncent dans ma gorge, m’empêchant d’avaler ma salive. Aisling entre dans la pièce, de la farine dans ses cheveux auburn et un jus de fruits à la main. C’est à Ava, ma nièce.

– Allez, hop hop hop. Tu ne peux pas laisser tomber Roisin.

Oh, la culpabilité familiale. Parce que, bien sûr, on ne laisse pas tomber la famille. La devise des O’Connor.

– Je ne veux pas.

 Je pleurniche comme un enfant de trois ans qui n’a pas fait la sieste, mais je m’en fous complètement.

– Tu ne peux pas annuler maintenant. Le gars est probablement en route et Roisin compte sur tes commentaires avant de lancer l’application pour d’autres utilisateurs. 

Aisling remonte ses lunettes sur son nez et me lance un de ces regards qu’elle maîtrise depuis des années. Celui qui m’affirme qu’elle a raison.

– Je n’y vais pas, je répète, même si l’incertitude peut s’entendre dans mon intonation.

Le regard d’Aisling s’adoucit et elle me tend la main. Après m’avoir aidée à me relever, elle désigne le papier sur le sol.

– C’est sur ta liste. Tu l’as écrite. Tu l’as plastifiée. Et tu écris à ce sujet dans ton journal intime.

Effectivement, ma sœur n’a pas tort.

Même si Aisling n’est pas plus grande que moi, elle me domine, avec son air de grande sœur qui sait tout mieux que moi.

– Je suis désolée que Rêves de Mariée ait annulé, mais avant tu vendais la plupart de tes robes en ligne. 

C’est vrai. Les gens aimaient ma boutique Artful : les clientes m’envoyaient leurs mesures pour une robe de mariée style ballerine et on travaillait ensemble sur chaque étape. Si, pour une raison ou une autre, leurs mensurations changeaient avant le mariage, elles pouvaient me la renvoyer pour la faire retoucher. Si elles n’avaient pas le temps, je les aidais à trouver un spécialiste des retouches près de chez elles et je travaillais avec lui en visio, contrairement à de nombreux autres magasins en ligne. Toute cette attention pour les détails n’a rien changé à ce qui est arrivé à ma boutique.

– Oui, mais…

Aisling ne me laisse pas finir.

– Tu pourrais te refaire une clientèle en ligne, aussi.

Pour me refaire une clientèle, il faudrait que j’aie de nouveaux modèles. Mais parler du blocage qui m’empêche de dessiner des robes dignes de voir le jour est impossible à cause de la boule dans ma gorge.

De plus, ce n’est pas la seule raison pour laquelle je ne peux pas me constituer une clientèle en ligne.

Aisling le sait aussi bien que moi, et pourtant elle continue.

– Tu pourrais recommencer à zéro.

Elle montre du doigt les robes qui attendent d’être portées.

– Pas avec la malédiction. 

Je regarde furtivement à droite et à gauche, comme si les mariées qui crient sur tous les toits que mes robes ont détruit leur mariage allaient apparaître en brandissant des fourches, prêtes à se venger.

– Tes robes ne sont pas maudites.

Le ton d’Aisling pourrait être convaincant si je ne savais pas mieux que personne ce qui s’est passé.

Je fixe la photo que je ne me suis pas résolue à jeter, au cas où cela m’apporterait encore plus de malchance.

– Dis ça à Esperanza.

Aisling pose le jus de pomme sur ma table de nuit surchargée et met ses mains sur sa taille, me regardant avec la patience qu’elle n’accorde habituellement qu’à sa fille Ava.

– Esperanza a épousé un type qu’elle connaissait depuis cinq minutes. Leur annulation cinq jours plus tard n’était pas si surprenante.

– Et la mariée qui a trébuché sur sa robe, s’est cassé le bras et a menacé de me faire un procès ?

– Elle n’a pas marché sur sa robe. Elle courait après le porteur d’alliances et a trébuché dans les escaliers. Ta robe n’est pas responsable. Elle n’avait aucun argument probant, rétorque Aisling, comme si elle avait déjà entendu tout cela, ce qui est presque le cas. J’ai une liste entière de mésaventures et elle a une réponse pour chacune d’entre elles.

Ou presque.

Je lui rappelle ce qui s’est passé il y a seulement un mois.

– Dis ça aux mariées dont les robes ont pris feu au moment où elles prononçaient leurs vœux. Elles ont regretté de ne pas avoir porté des robes achetées l’année précédente.

Aisling répond en moins d’une seconde.

– Le vent et les bougies. Pas ta faute.

Elle s’arrête pour reprendre son jus de pomme, en boit une gorgée, puis ajoute :

– Je ne portais pas l’un de tes modèles quand Rob et moi avons convolé. Et on n’est plus ensemble. Avec ta logique, on devrait être heureux.

– Et ce qui m’est arrivé ?

Je déteste le son de ma voix. Non pas parce que Nathan m’a quittée, mais à cause du timing. Si nous avions prononcé nos vœux, toutes les robes de mariée idéales du monde n’auraient pas changé le fait que nous étions plus dépareillés que toutes les chaussettes que j’ai perdues dans le sèche-linge.

Mais le fait qu’il se barre en courant alors que je me dirigeais vers l’autel dans une de mes créations a cimenté la réputation de malchance de mes robes. En plus, Nathan ne s’est pas seulement enfui précipitamment. Oh non, non, non. Après m’avoir dépassée en courant, il a sauté sur le cheval qui était censé nous porter jusqu’à la réception, comme s’il avait été engagé comme figurant dans le film Just Married (Ou Presque) qui a été tourné à moins d’une heure d’ici. Après cette sortie spectaculaire, rien n’a pu arrêter la légende urbaine selon laquelle si vous portez un modèle de Sorcha O’Connor à votre mariage, vous ne connaîtrez pas le bonheur.

Il y a des fils de discussion Reddit sur mes robes et la malédiction O’Connor. Des vidéos YouTube. Des tendances TikTok. Des personnes ont consacré des comptes Instagram à la supposée malédiction. Des enquêteurs veulent s’assurer que je ne trompe pas les clients en ligne sous un pseudonyme. Même si je le voulais ou si j’avais encore du talent… je ne pourrais pas vendre mes créations en ligne. Je ne peux même pas obtenir un emploi de couturière pour l’un des magasins de robes de mariée de la région.

– Ça craint. Mais tu as ajouté « blind date »sur ta liste pour une bonne raison. Tout ce que tu fais, c’est travailler. 

Le ton d’Aisling n’est pas accusateur. Il est doux, trop doux. Je peux argumenter jusqu’à ce que je sois à bout de souffle, mais je ne sais pas comment gérer la gentillesse.

Alors, je lui tire la langue.

– Tout ce que tu fais, c’est travailler.

– Alors ça, c’est de la répartie.

Elle lève les yeux au ciel et on revient sur un terrain moins dangereux : celui des chamailleries entre sœurs.

Après avoir poussé un long soupir, je pose la liste plastifiée sur mon bureau., juste à côté de la photo de moi avec l’extraordinaire designer Christian Giovanni. Sophie l’a prise après avoir appris que j’avais passé l’audition et que j’allais participer à l’émission télévisée de Christian : Je rêve d’une robe. Le mélange parfait de J’ai dit oui à la robe et de Projet haute couture.

Il y a une éternité.

Sur le mur, une autre photo attire mon attention : Aisling et Ava éclatant de rire avec de la glace sur le nez. Je me retourne vers ma sœur, l’espoir frappant à la porte de ma poitrine.

– Et toi ? Tu pourrais aider Roisin. Tu pourrais y aller à ma place. (Je lui lance mon regard le plus attendrissant, celui qui lui rappelle Tiramisu le chat quand il a fait une bêtise mais sait qu’il est adorable.) Je pourrais faire une soirée pyjama avec Ava ce soir. Elle adorerait.

Aisling lève les yeux au ciel comme elle le faisait quand j’avais douze ans et que je les suppliais, elle et mon grand frère, de me laisser les accompagner.

– Je fais de la pâtisserie.

À ces mots, mes épaules s’affaissent. Rien, sauf Ava, n’est plus important que la pâtisserie pour Aisling. Tout l’appartement sent les biscuits fraîchement cuits, faisant oublier le désastre du soufflé au chocolat de ce matin. Et ces biscuits sont mes préférés : ils fondent dans la bouche, avec leurs pépites de chocolat et de caramel. Une autre raison de rester à la maison.

Mais Aisling me regarde de haut en bas et ajoute : 

– C’est sûr, tu dois refaire ton maquillage. Tu as de l’eyeliner et du mascara partout. Mais si tu ne voulais pas y aller, pourquoi tu t’es changée ?

Elle a raison. Bien sûr, elle a raison.

Ma robe vintage à grosses mailles est bleu foncé et confortable avec des poches. Un modèle copié d’une photo de notre grand-mère. Peut-être que je devrais me changer. Et si porter cette robe signifie que ce rendez-vous sera horrible ? Mais si changer de tenue signifie que je ne vendrai plus jamais aucune de mes robes ?

Je chasse ces questions sans réponse liées à mes TOC, que j’ai pourtant sous contrôle la plupart du temps. Je m’efforce de me détendre, mais la tension logée dans ma colonne vertébrale refuse de s’en aller.

– Je te jure que si ce type a créé un hashtag pour ce rendez-vous, je ne vous écouterai plus jamais, au grand jamais, ni Roisin ni toi. 

Aisling caresse Tiramisu qui ronronne. Traître.

– Et si c’est un con, tu n’es pas obligée de rester.

Elle finit le jus de pomme.

– Tu peux rentrer à la maison. Ava est excitée à l’idée d’essayer son costume de cygne. Elle en a parlé à tous ses amis, en disant combien sa tante est géniale.

– Tout pour ma nièce préférée.

Je me fends d’un sourire, reconnaissante que ma nièce m’ait demandé de l’aider pour son costume. C’est le modèle de ma création dont je suis la plus fière depuis ces douze derniers mois.

– C’est ta seule nièce, fait remarquer Aisling avant d’écraser la briquette de jus de pomme. Envoie-moi un message si tu décides de rester dehors toute la nuit.

Sa tentative de paraître légère et enjouée fonctionne presque, mais son ton devient plus sérieux.

– Et pour Rêves de Mariée, je suis vraiment désolée. Ça craint. Je l’ai déjà dit, mais je le répète : tu devrais contacter Christian.

Comme si contacter Christian m’apporterait quelque chose alors que mes créations de robes de mariée ballerines ne sont que de pâles copies de mes précédents travaux.

– Je vais trouver une solution.

Les doutes remplissent les yeux d’Aisling et mon esprit. Quand les choses se sont gâtées, Christian s’est éloigné de moi, lui aussi. Mais si je descends dans ce terrier de tulle sans fin maintenant, même mes biscuits préférés ne me remonteront pas le moral. En plus, rayer un autre article de ma liste va certainement m’envoyer des endorphines, dont j’ai bien besoin.

– Tu prépares le meilleur dessert du monde pendant que je rencontre…

Je marque une pause.

– Euh… Attends.

Je sors l’application pour vérifier.

– Trevor, c’est son prénom.

Fidèle à la légende selon laquelle je ne réponds jamais à mon téléphone ou qu’il est éteint, ma batterie est à 25%. Elle s’est vidée plus vite que d’habitude.

– Va t’amuser. Je te ferais bien un câlin, mais je ruinerais ta tenue avec de la farine.

Elle fait une danse joyeuse en sortant de ma chambre.

Après avoir glissé un chargeur dans mon sac à main, je rectifie mon maquillage. Pendant que j’utilise mon mascara waterproof, le post-it jaune fluo sur lequel est écrit Ça va le faire que j’avais collé sur le miroir pendant ma phase Soyons positives, virevolte au sol. Est-ce un autre signe que je devrais rester à la maison ? Je le recolle, mais il tombe de nouveau et les remous dans mon estomac s’intensifient. Même en prenant une profonde inspiration, ça ne m’aide pas. Alors, j’essaie de me calmer d’une autre façon : je passe mes doigts dans mes cheveux roux bouclés, longs jusqu’aux épaules. Pas auburn, comme ceux d’Aisling. Pas cuivrés comme Roisin ou Liam. Roux. Le rouge d’Anne aux Pignons Verts. Comme Mamó. Et en ce moment, mes cheveux sont comme je les aime.

Tandis que j’enfile des bottes par-dessus mes collants et que je me glisse dans un manteau trop grand, je m’encourage à nouveau : le post-it a raison, Sorcha. Tu peux le faire. Ta prochaine aventure t’attend.

Voilà. C’est ça l’idée.

Le parking derrière la boulangerie de mes parents est entièrement décoré de lumières de Noël. Cette fois, quand j’inspire profondément, l’air frais emplit mes poumons et mes nerfs agités se calment. Ce gars, euh… Je devrais vraiment me souvenir de son prénom. Trevor. C’est ça. Trevor pourrait-il être le bon ? Pour maintenant ou pour toujours ? Puisque le seul moyen de le savoir est de le rencontrer, je redresse mes épaules et me dirige à grands pas vers ma voiture.

Mon pied droit glisse sur une plaque de glace.

– Merde !

Je crie en tombant sur les fesses. La neige mouille mon manteau et ma robe. Dans l’un des romans d’amour que ma meilleure amie Sophie et moi dévorons, le héros aurait choisi ce moment précis pour apparaître et glisser ses bras puissants autour de ma taille pour retenir ma chute.

Pas de chance.

– Ça va, Swan ? demande d’un ton amusé mais légèrement inquiet une voix de baryton, qui était autrefois la bande-son de mes rêves.

Mon estomac palpite d’une manière que je croyais oubliée depuis longtemps, après des années de chances manquées et d’oreillers trempés de larmes.

Une seule personne m’appelle « Swan ».

Il a commencé pendant ma phase Twilight. Pas seulement parce que j’étais sujette aux accidents comme Bella Swan ou parce que j’ai dévoré tous les livres les uns après les autres, m’arrêtant à peine pour manger. Mais parce que c’est aussi pendant cette période que je consacrais des heures à dessiner des cygnes partout.

Cet Halloween-là, il s’était même déguisé en vampire et m’avait dit que, contrairement à Edward, il me mordrait sans hésiter.

Je lève le regard, et il est là, appuyé contre ma voiture. Une voiture qui était la sienne.

Le flottement se transforme en une danse confuse.

Il ne devrait pas être ici. Il a déménagé sur la côte Ouest juste après le lycée. La première occasion qu’il a eue de quitter notre petite ville ? Il l’a saisie à deux mains et n’est jamais revenu patiner ici.

Et maintenant quoi ? Il se pointe sans prévenir sur mon parking ?

En bottes de neige, dans un jean qui épouse ses cuisses robustes et une parka qui ne cache pas sa musculature.

Partout où il va, Ryan Sawyer a toujours ce je-ne-sais-quoi, un certain charisme qui donne l’impression qu’avec un seul sourire, tout peut tomber à ses pieds.

Tout. Absolument tout.

Y compris une partie de mon cœur.

Et bon sang, même après des années sans le voir, c’est toujours le cas.

CHAPITRE 2 – RYAN

Je n’arrive pas à croire que je suis de retour à Swans Cove. Cette ville contient certains de mes meilleurs comme de mes pires souvenirs…

Mon plan était d’aller directement chez mes parents, mais je me suis arrêté à la boulangerie. Après tout, Maman adore leur tarte au citron. Dix ans après être rentré pour la dernière fois, quel fils ne surprendrait pas sa mère avec son dessert préféré ? Rien à voir avec la rousse à couper le souffle qui me regarde comme si j’avais piétiné son cœur. Ma mâchoire reste serrée par les années de regrets, de remords et de chances ratées.

– Tu vas bien ? Je répète, cette fois sans utiliser ce surnom qu’elle adorait. Vu la façon dont elle me fusille du regard quand elle lève à nouveau les yeux, soit elle déteste ce surnom à présent, soit elle me déteste moi.

C’est moi qu’elle doit détester.

Je ne peux pas lui en vouloir.

Pourtant, je lui tends la main comme elle l’avait fait pour moi lors de mon tout premier jour à l’école primaire de Swans Cove. À l’époque, Pops, qui m’élevait depuis mes deux ans, était mon héros. Non seulement il savait quoi dire lorsque je me réveillais terrifié par un cauchemar, mais il trouvait des moments dans son emploi du temps chargé pour m’emmener pêcher et m’apprendre à lancer une balle. Trop jeune pour comprendre que les blessures de Pops signifiaient la fin de sa carrière en tant que joueur de baseball professionnel, je n’avais pas réalisé que les comprimés qu’il prenait pour soulager la douleur seraient le début d’une relation compliquée avec la dépendance.

Un matin, Pops est tombé dans les buissons près de l’arrêt de bus.

J’ai appelé son nom, pas trop fort parce que je ne voulais pas que les gens le voient comme ça. Le rire exagéré de Pops a retenti, comme si tomber dans les buissons était la chose la plus drôle qui soit. J’avais honte de lui, et pendant très longtemps, j’ai détesté cette part de moi-même. Des heures de thérapie m’ont aidé à accepter ces souvenirs.

Je voulais qu’il se lève, qu’il disparaisse, qu’il aille bien.

Tandis qu’il me fixait, ses yeux s’étaient agrandis et son rire s’était transformé en geignement. Le regard sur son visage était un mélange de « je suis désolé »et de « ce n’est rien ».Lorsqu’il est parti, j’ai entendu une mère dire : « Sois gentil avec Ryan. On dirait qu’il est sur le point de pleurer. » Ne sachant pas quoi faire de ce sentiment de gêne et de mon inquiétude, j’ai serré les poings. Mais avant que je ne perde la tête, Sorcha s’est glissée à côté de moi et m’a parlé comme si nous étions déjà amis.

– Moi c’est Sorcha. Je suis venue chez toi avec ma mère, mes sœurs et mon frère hier. Tu jouais avec le chien de Mme Locelli. Je veux un chien. Maman a dit que je pourrai en avoir un bientôt. Je l’appellerai Muffins.

Les mots glissaient de sa bouche.

– Ma mère et ta mère sont amies et ma mère a dit qu’on pourrait devenir amis aussi.

Puis elle avait baissé le regard vers le sol, rougissant, et elle avait marmonné quelque chose pour elle-même avant de relever les yeux vers moi.

– Si tu ne veux pas être mon ami, c’est pas grave.

Elle avait ouvert sa boîte déjeuner.

– Mon père m’a fait des snickerdoodles. T’en veux un ?

Et elle m’avait tendu un biscuit roulé dans du sucre à la cannelle fait maison, restant à côté de moi jusqu’à l’arrivée du bus. Quand on est montés dans le bus, mon père titubait pour rentrer à la maison, un enfant l’a montré du doigt et s’est moqué de lui. Mes yeux étaient humides et ma gorge nouée, jusqu’à ce que Sorcha m’attire vers un siège près du sien et me prenne la main jusqu’à l’école.

Elle ne tient pas ma main en ce moment. Elle ne la regarde même pas.

– Tu… Tu n’as même pas envoyé de message.

Sa voix se brise, me donnant un coup de poing imaginaire dans l’estomac. Et la façon dont elle se pince les lèvres m’indique qu’elle sort un bouclier pour se protéger.

– Peu importe.

Ses yeux marron-vert deviennent plus froids que n’importe quelle arène dans laquelle j’ai patiné et le regret me prend aux tripes, sachant que je l’ai laissée tomber malgré ma promesse d’être toujours là pour elle.

 – Peu importe, répète-t-elle plus fort. Ça n’a pas d’importance.

Sa voix est sèche à présent, et elle ne m’épargne pas un autre regard froid tandis qu’elle s’efforce de se relever. Quand son pied glisse à nouveau, sa main attrape mon bras et on se tient l’un à l’autre pour ne pas tomber sur les fesses. Mon genou ne me lâche pas cette fois, mais mon équilibre est instable, et mon autre bras se resserre autour de sa taille. Sentir ses doigts sur ma peau et l’odeur de son shampoing à la noix de coco ravive en moi un feu incontrôlé que je croyais maîtriser depuis longtemps.

Mes doigts se lèvent par automatisme, comme si la scène avait été répétée de si nombreuses fois que je n’avais pas besoin de réfléchir.

Les yeux de Sorcha s’agrandissent légèrement, mais elle ne bouge pas. Au contraire, ses lèvres s’écartent et elle laisse échapper la plus douce des expirations. Elle sait ce que je suis sur le point de faire. Je lève un sourcil. Non pas d’un air de défi, mais d’interrogation. Et elle lève le sien en signe de réponse. Pas d’un air interrogateur, mais de défi. Puis elle me donne le signal que j’attendais : sa tête fait un bref mouvement vers le bas et s’incline sur le côté pour me donner un meilleur accès. Mes doigts effleurent sa peau et tracent lentement le tatouage en forme de cœur qu’elle a sur son cou, caché derrière ses épaisses boucles rousses.

Quand l’Institut de la Mode l’avait rejetée, on s’était enfuis à Ocean City. Il y avait un studio de tatouage qui ne regardait pas de trop près les cartes d’identité le samedi matin si on entrait avant l’ouverture. Nous étions restés à l’appartement le vendredi soir. La mère d’un de mes collègues gérait plusieurs locations et il avait obtenu le code de l’une d’entre elles. C’était la première fois que je séchais l’entraînement, mais ce n’était pas la première fois qu’on s’éclipsait sans que nos familles ne le sachent.

Cette nuit-là, je l’avais embrassée. Pas pour la première fois, ni même pour la dernière. Mais quand elle m’avait embrassé en retour, ses mains s’étaient glissées sous ma chemise, puis l’une d’elles s’était faufilée dans mon caleçon, tandis qu’elle me murmurait à quel point elle me désirait. Son shampoing à la noix de coco flottait dans l’air, mélangé à l’odeur salée de l’océan qu’on pouvait voir derrière nos fenêtres. « Tu es sûre ? », lui avais-je demandé. Après avoir hoché la tête sans un mot, je lui avais reposé la question. Quand elle avait murmuré « oui » mordillé ses lèvres inférieures, mon cœur s’était emballé dans ma poitrine.

Puis mes mains avaient pris son visage et je l’avais embrassée de nouveau, plus intensément. On continuait à s’embrasser lorsque mes doigts avaient tracé la cicatrice qu’elle s’était faite au genou en sautant du haut d’une balançoire et en tombant sur le gravier. On n’a pas cessé de s’embrasser quand les courbes dont j’avais rêvé pendant des années s’étaient pressées contre mon torse. On n’a pas cessé de s’embrasser quand mes doigts avaient glissé sous sa chemise et avaient dansé sur sa taille, découvrant sa peau douce, et qu’elle avait rigolé à cause de ma respiration.

Puis j’avais passé mes lèvres sur sa mâchoire, le long de sa gorge jusqu’à son pouls qui battait en harmonie avec le mien, et elle avait tâtonné pour déboutonner mon jean. Et alors que j’avais rêvé qu’elle gémisse mon nom, il y avait eu beaucoup plus de rires que de cris de plaisir pendant notre première fois ensemble. Et notre deuxième fois.

Je n’ai jamais ri de cette façon avec quelqu’un d’autre.

Ses lèvres s’écartent à nouveau. Peut-être qu’elle s’en souvient aussi. Je me rappelle chaque détail de ce qui s’est passé ensuite : les vagues s’écrasant sur le sable, la petite tache de naissance sur son épaule que j’aimais embrasser, et le son qu’elle avait fait quand elle avait joui. Après avoir ri, s’être perdus l’un dans l’autre et avoir ri encore, je lui avais demandé de me montrer ce que je pouvais lui faire. Elle avait écarquillé les yeux et s’était mordu la lèvre inférieure pendant une seconde, avant de déposer un baiser sur mon cou et de s’allonger à nouveau sur ce drap bleu. Et il n’y avait jamais rien eu de plus excitant que Sorcha O’Connor prenant du plaisir avec l’océan en arrière-plan.

À l’écoute de ses réactions, mes doigts glissent de son tatouage jusqu’à sa clavicule et quand ses lèvres forment un petit sourire, mon cœur s’emballe. Mais alors que j’avance d’un pas pour être encore plus près d’elle, son sourire disparaît et le voyage dans le passé s’arrête net. Ma main retombe et je fais un léger pas en arrière, une rafale de vent soufflant entre nous.

Une autre odeur flotte dans l’air. Pas celle de son shampoing à la noix de coco, ni celle du parfum fleuri qu’elle portait et qui me rappelait toujours l’été. Une note de vanille ? Comme ces cupcakes qu’elle aimait tant. J’aimerais lui demander depuis quand elle a changé de parfum, ce qui a changé d’autre, si elle invente toujours des histoires dans sa tête, et si elle va bien. Est-ce qu’elle a d’autres tatouages ? Celui en forme de cœur sur son cou lui rappelait qu’elle adorait dessiner, même si elle n’était pas dans l’école de ses rêves. Avant que le tatoueur ne commence, elle avait chuchoté :

– C’est un souvenir de ce week-end aussi. De nous.

Un sentiment d’urgence me traverse, attisant le feu.

Où est le TARDIS ? Il faut que je remonte le temps jusqu’à ce jour.

Mais à la façon dont elle me foudroie du regard, je ne suis même pas sûr que cela résoudrait nos problèmes. Mes doigts brûlant au souvenir de sa peau, je lui donne encore plus d’espace en m’éloignant de sa voiture. C’était la mienne.

Sorcha ouvre la porte.

– Il faut que je parte. J’ai un rendez-vous.

Au lieu de se glisser à l’intérieur, elle se retourne.

– Dis-moi qu’Aisling, Roisin et Sophie n’ont pas inventé ça.

Elle soupire.

– S’il te plaît, dis-moi que le rendez-vous n’est pas avec toi.

– Je n’ai aucune idée de quoi tu parles.

Ma voix ne trahit pas le déroutement qui m’envahit lorsque je me retrouve devant elle.  J’avais imaginé qu’en la voyant, j’aurais voulu sentir sa peau, appuyer sur pause et remonter le temps pour changer la façon dont les choses se sont terminées. Mais je pensais qu’à notre prochaine rencontre, elle serait mariée et heureuse, qu’elle aurait réussi. Je ne pensais pas qu’elle aurait l’air aussi triste que moi le jour où elle m’avait donné ce snickerdoodle.

À sa façon de pencher la tête sur le côté, il est clair qu’elle évalue si je dis la vérité. Il y a quelques années, elle pouvait dire si je mentais rien qu’à la tonalité de ma voix, ou à ma façon de croiser les bras sur ma poitrine. Elle devrait savoir que je ne mens pas en ce moment. Mais elle cligne rapidement des yeux et semble douter d’elle-même, et j’ai un goût amer dans la bouche.

– Je te jure, si c’est toi, Sawyer…

Sa voix est celle avec laquelle j’ai appris il y a longtemps à ne pas plaisanter.

J’aimerais qu’elle aille à un rendez-vous avec moi. Mais regardons les choses en face : je suis sûr que ses sœurs, Aisling et Roisin, tout comme sa meilleure amie, Sophie, me découperaient en morceaux si elles me voyaient en ce moment. Son grand frère Liam se joindrait aussi à la fête. Tout le clan O’Connor se ferait un plaisir de m’arracher les membres petit à petit et je grimace en imaginant la douleur. Je tiens à rester en vie. Je regarde autour de moi, m’attendant presque à ce qu’Aisling sorte de nulle part avec un couteau à gâteau. Et je respire mieux quand personne d’autre ne se montre sur le parking.

– Allô ?

Elle semble préoccupée, mais se met à rire. Pas de son rire joyeux et insouciant, mais d’un rire que je n’avais jamais entendu auparavant. Ne pas savoir qu’elle a changé de parfum est une chose. Mais ne pas reconnaître son rire est la preuve que je suis resté loin trop longtemps. Pas de Swans Cove, mais d’elle.

– Bien sûr, c’est toi. Je vais les tuer.

– Ce n’est pas moi le chanceux.

Quelque chose passe dans ses yeux. De la déception ? Ou est-ce que c’est ce que j’aimerais ? Elle cligne des yeux de nouveau quelques fois, puis se glisse dans Thunder, s’éloignant de moi, ne me laissant pas le temps d’analyser ce qui peut se passer dans son esprit.

– Comment ça se fait que Thunder roule encore ?

Je l’interpelle pour tenter de garder un contact avec elle, sachant qu’elle ne manquera pas une occasion de défendre Thunder.

 – Elle a neuf ans, répond-elle d’un ton protecteur. Elle a encore quelques années devant elle.

Elle tapote tendrement le volant de ma vieille Honda, et pendant une fraction de seconde, je suis jaloux d’une voiture.

– Maintenant, si tu veux bien m’excuser, je dois aller à un rendez-vous. On ne se reverra probablement jamais. Ta vie glamour t’attend à Washington.

Elle marque une pause, regarde vers le bas, avant de relever la tête.

– Tu n’es pas censé être avec ton équipe en ce moment ? Tu ne peux pas jouer. Mais tu n’es pas censé être avec eux ? Ton équipe joue contre les Boston Bruins ce soir.

La façon dont elle pince les lèvres m’indique qu’elle ne voulait pas poser autant de questions. Ça montre aussi qu’elle a dû lire un article sur moi, ou du moins qu’elle n’a pas fait la sourde oreille avec quelqu’un qui parlait de ma blessure. Est-ce qu’elle s’en soucie encore ? Au moins un peu. Je suis tenté d’esquisser un sourire.

Mais ma blessure au genou n’est pas le seul problème. L’autre souci, c’est mon épaule. L’année dernière, j’ai été filmé en train de râler contre l’entraîneur de l’équipe, Stevens, et la façon dont il la gérait. Il y a eu beaucoup d’articles sur les disputes dans les vestiaires avec l’entraîneur et sur ma fougue légendaire. Cette attitude problématique a été confirmée lorsque j’ai poussé mon connard de donneur de sperme, connu dans le monde du hockey sous le nom du Grand Sergei, contre une table remplie de verrines de crevettes et de flûtes de champagne lors d’une soirée chic. Juste avant d’être mis sur le banc en raison de ma blessure au genou, j’avais été impliqué dans une bagarre ayant entraîné la disqualification de plusieurs joueurs lors des séries éliminatoires.

Mon agent, Tom, et la publiciste de l’équipe, Bria, font pas mal d’heures supplémentaires pour nettoyer mon bordel.

– Par où je commence ?

J’ai l’air aussi épuisé que maman après qu’elle et Pops ont jeté mon connard de donneur de sperme hors de la maison quand il avait exigé que je coupe tout contact avec lui. Pourtant, une lueur d’espoir se faufile dans ma voix à l’idée que Sorcha ne me déteste pas complétement.

– Nulle part. Pas mes affaires.

Et sa voix est comme accompagnée d’un avertissement : reste à l’écart. Elle se racle la gorge.

– Mais je suis contente que tu sois là pour l’anniversaire de ta mère. Ton père… Ils doivent être contents de te voir.

Elle claque la porte de Thunder, et je jure l’entendre s’excuser auprès de la voiture avant de sortir prudemment du parking.

Le gloussement que je ne peux retenir est rempli de souvenirs. Parce que, bien sûr, Sorcha parle toujours à Thunder. Elle est plus sympa avec la voiture qu’avec moi, mais elle n’a pas tort.

Cette voiture ne l’a probablement jamais laissée tomber.

CHAPITRE 3 – SORCHA

– Tu savais qu’il allait revenir ?

Je pose la question à Thunder, comme si ma voiture allait répondre. Mais elle ne le fait pas.

– Il porte toujours le même après-rasage, je murmure.

On était si proches que lorsque j’ai senti son parfum boisé et épicé, le temps s’est arrêté. Il y a des années, avant même de commencer à se raser, il en mettait trop. Maintenant, il est plus délicat, ce qui me rappelle les jours et les nuits passés avec lui à Washington il y a cinq ans. Un soupçon de cet après-rasage et mon cœur n’était pas la seule partie de moi à se serrer.

Ne pense pas à la façon dont tu vaporisais cet après-rasage sur ton oreiller, Sorcha. N’y pense pas.

Pour me distraire de cette tempête de sentiments confus provoquée par Ryan, j’allume la radio, prête à chanter sur la musique de Noël qui passe. Mais le CD que j’avais mis passe dans les haut-parleurs avec le son crépitant auquel je suis habituée. « Old School Eminem ». Notre playlist de terminale. Celle que j’avais faite pour lui et qu’on écoutait deux fois par jour pendant notre dernière semaine de lycée. Je monte le volume jusqu’à ce que le grésillement devienne une nuisance, plutôt qu’un bruit de fond. Thunder a besoin d’une révision. Si je trouve un autre job en freelance, je pourrai me permettre les réparations pour qu’elle reste en bon état. Pendant des années, Thunder était le seul souvenir de Ryan que je m’autorisais à garder près de moi.

Je compte jusqu’à trois et me persuade de ne pas regarder derrière moi, mais mon regard s’arrête sur le rétroviseur. Par sécurité, bien sûr.

Ryan est toujours là.

Il est de retour.

Ryan Sawyer est de retour. Encore de retour. Il aurait dû le dire à un ami. J’émets un rire nerveux, et chante quelques mots de plus en anglais, même si ma voix ne ressemble pas du tout à celle d’Eminem. En plus de ça, j’ai oublié la moitié des paroles.

Parce que Ryan Sawyer est de retour après plus de dix ans.

Il aurait dû y avoir une sorte d’annonce de la ville. Ryan est une star du hockey. Il est en difficulté, clairement, s’il est ici pendant la saison. Mais peu importe. La ville de Swans Cove n’aurait-elle pas dû dérouler le tapis rouge et faire un communiqué de presse ?

Mesdames et Messieurs, Ryan Sawyer pose son patin à Swans Cove pour la première fois depuis plus de dix ans. Veuillez vous assurer que Sorcha O’Connor ne le croise pas, car cette ville a eu assez de drames liés à Sorcha pour le reste de sa vie.

Après que Nathan m’a plaquée devant l’autel, j’ai envoyé plusieurs e-mails et messages à Ryan. Je n’ai jamais reçu de réponse.

Oh, il m’a recommandée auprès d’une de ses amies qui cherchait une créatrice de robes de mariée. Et il a demandé à sa publiciste de prendre de mes nouvelles pour voir si j’avais besoin de conseils. Mais il n’a pas appelé. Il n’a pas écrit. Et chaque fois que j’y pense, une petite aiguille vient me piquer la poitrine, encore et encore.

Il a peut-être envoyé un SMS à mon ancien numéro, un e-mail à mon ancienne adresse ou jeté une bouteille dans l’océan Pacifique en croisant les doigts pour qu’elle arrive jusqu’à moi.

Ça n’a pas d’importance.

Ce n’est pas comme si nous étions toujours amis. Meilleurs amis. On était meilleurs amis. On l’était et bien plus encore. Le tatouage sur mon cou a réagi à son contact. Il aimait le tracer avec son doigt avant chaque match en terminale.

Putain. Putain de merde.

Oui, reprendre contact avec lui est un critère que je veux cocher sur ma liste des 31 choses à faire avant le 31. Mais je pensais le faire en ligne, cela semblait plus sûr : pas de grands sentiments en jeu. Quelques messages et quelques e-mails… Rien de plus. Parce qu’il aurait pu se noyer au moment où il a sauvé cette petite fille. Je ne pouvais pas continuer ma vie en sachant que la dernière fois qu’on s’était parlé, j’avais prononcé des mots que j’aurais aimé pouvoir retirer. Reprendre contact avec Ryan ne signifiait pas de tomber sur lui et de retrouver tous ces papillons dans le ventre que j’avais chassés il y a des années.

Il est pareil et différent de la dernière fois que j’ai posé les yeux sur lui… Sur ses yeux, sur ses mains et sur ses lèvres. Il y a cinq ans. Son appartement avec vue sur les vagues. La façon dont il m’avait pressée contre les baies vitrées. La façon dont on avait ri en essayant de regarder un film et en finissant par glisser hors du canapé en cuir, nos vêtements éparpillés un peu partout comme une bande-annonce de nombreux moments frissonnants. Ses épaules semblent plus larges. Ou peut-être que c’était sa veste. Oui, ça doit être l’effet de la veste d’hiver, pas le fait qu’il reste en forme malgré sa mise à l’écart. En tout cas, si sa mâchoire est plus serrée, ses yeux sont les mêmes. Et sa voix ? Sa voix me fait penser à des choses déconseillées aux ados, et qui finissent rapidement par être interdites aux moins de 18 ans. Sa voix et ses mains. Et ses épaules, plus larges ou pas. Et son rire. Y a-t-il une sorte de bouton Ryan préprogrammé quelque part dans ma mémoire ? Appuyez sur « Ryan » et vous aurez chaud partout. Même un peu trop chaud. Est-ce dangereux ?

Je ne peux pas penser à lui. Pas maintenant. Plus jamais. Ou du moins pas avant d’être beaucoup plus âgée, et de me souvenir de mon incroyable histoire : le grand amour perdu de ma vie. Je parlerai de lui à mes petits-enfants. « Tu sais, je pensais que c’était le bon, mais c’était juste un con. Oui, grand-mère est toujours amère. »

En arrivant sur Main Street, je cherche une place de parking. Il n’y en a pas devant le restaurant. Aucune devant la librairie. Aucune non plus dans la petite rue à sens unique où je peux habituellement me garer en dernier recours.

Ça pourrait être un autre signe que je devrais faire demi-tour, me cacher sous la couette avec Tiramisu et relire le Journal de Bridget Jones. Mais Aisling a raison. Roisin compte sur moi, et je ne peux pas la laisser tomber.

Alors, au lieu de rentrer chez moi, je fais un tour vers le bar et je me gare plus loin, sur le petit parking de la poste. Notre ville bourdonne de monde. Pendant toute la semaine précédant Noël, le calendrier de Swans Cove est rempli d’événements. Ce soir, un groupe local joue de la musique dans le parc. Dans deux jours, il y aura l’illumination du sapin et la parade, où les enfants de l’école primaire portent des costumes de cygne ou de renne et dansent autour du Père Noël pendant que les pompiers font retentir leur sirène.

Il y a une éternité, j’étais l’un de ces enfants. Ryan aussi.

On était de jolis cygnes à 6 ans, avant que le hockey n’envahisse sa vie.

Quand on était en CP, j’avais aidé Mamó à fabriquer mon costume, ainsi que celui de Ryan. Tout en m’apprenant à coudre, elle me racontait des histoires de cygnes trouvant leur véritable amour pour la vie. Elle me disait qu’il fallait d’abord se connaître soi-même et elle me montrait comment me défendre. Ces histoires, je les ai gardées en mémoire. Pendant des années, j’ai lu des histoires de cygnes qui se retrouvaient à l’adolescence et qui restaient ensemble pour la vie. Mais bon, Ryan et moi ne sommes pas des cygnes.

Je laisse retomber ma tête sur le volant. Trop de souvenirs. Pas assez.

Quand il a quitté la ville il y a plus de dix ans, j’ai cru que je n’arrêterai jamais de pleurer. Quand je suis rentrée de Washington, je me suis fait la promesse de ne pas pleurer jour et nuit sur ce qu’on aurait pu devenir. Je ne vais pas recommencer maintenant. J’ai suffisamment pleuré aujourd’hui. Merci beaucoup.

Déterminée à donner une chance à cette soirée, je me redresse, attrape mon sac à main, et claque la porte de Thunder. Encore une fois. Pauvre Thunder. Je caresse le coffre.

– Je suis désolée. Tu sais que ce n’est pas contre toi.

Pour éviter que ma nervosité ne prenne complétement le dessus sur ma raison, je compte jusqu’à quatre en inspirant, je retiens ma respiration, je compte silencieusement jusqu’à huit puis j’expire pendant huit secondes. Après avoir répété l’exercice trois fois, mes lèvres dessinent un sourire plus détendu.

Il doit y avoir des food-trucks au concert car une odeur d’oignons frits, de galettes de pommes de terre et d’amandes flotte dans l’air. La musique de Noël est l’un des airs qui reste dans la tête toute la soirée : Vive le Vent. Notre ville devrait avoir le titre de ville la plus susceptible de figurer dans un film Hallmark : un film plein de bons sentiments qui se finit toujours bien.

Même si je n’ai jamais vu de film Hallmark où un père dit à son fils qu’il ne sera jamais fier de lui, quoi qu’il fasse. Le père biologique de Ryan est vraiment une perle.

Les films Hallmark devraient aussi avoir de tels moments.

On peut éprouver des sentiments affectueux et confus pour des personnes avec une histoire compliquée. Pas vrai ? Je me pose la question.

Je prends une autre grande respiration avant de redresser mes épaules, me préparant à ce qui va arriver.

Ryan est peut-être de retour, mais il ne va pas gâcher ma soirée. Et le représentant de Rêves de Mariée ne gâchera ni ma soirée, ni ma vie.

Je vais aller à ce rendez-vous. Je vais finir la liste. Je vais parler à Christian.

Les dessins que j’ai faits ne sont peut-être pas aussi nuls que je le pense. Ou s’ils le sont, Christian pourrait me donner des conseils afin de démêler les nœuds qui étouffent ma créativité. Oui, il n’a pas cherché à m’aider lorsque mes modèles ont été retirés de tous les magasins ou lorsque ma boutique en ligne a été censurée parce que les gens la signalaient sans cesse pour « publicité mensongère ». Mais encore une fois, une année s’est écoulée. Et je ne lui ai jamais demandé de faveur. Si Christian Giovanni est de mon côté, Rêves de Mariée pourrait au moins reconsidérer sa décision.

L’horloge au-dessus du bureau de poste indique qu’il est presque sept heures. Il est temps d’y aller et de donner une chance à cette blind date.

***

En entrant, je suis accueillie par la chaleur de la cheminée, la douce musique de Noël et l’odeur de pain à l’ail. Le magazine Les Saveurs du Maryland a désigné Plates & Drinks comme l’un des restaurants à tester sur la côte Est. Et leur pain à l’ail fait maison est l’une des nombreuses choses pour lesquelles ils ont raison. Faye, qui porte un bonnet de Père Noël sur ses cheveux roses, bleus et violets, me salue avant d’installer M. Garcia, le directeur du lycée, ainsi que sa famille à une table ronde près du bar. Ça me donne au moins quelques secondes pour vérifier mon téléphone et regarder si Roisin m’a envoyé un message. Qui sait ? Le gars a peut-être annulé. Est-ce que j’en serais soulagée ou déçue ? Mes doigts moites glissent sur l’écran mais il reste noir. Mon téléphone est éteint. Bien sûr. Quoique j’aie pris mon chargeur, j’ai oublié de le brancher et la batterie s’est vidée rapidement.

Putain. Putain de merde.

Faye retourne à l’accueil, qui a été décoré de guirlandes lumineuses hier. Après avoir ajusté le plan de table, elle se tourne vers moi avec son sourire éclatant.

– Ton rendez-vous est assis à la table sur la droite de la cheminée. Il est plutôt sexy.

Son sourire s’estompe.

– Mais attention : il prend plein de photos et il est souvent sur son téléphone.

Elle penche la tête sur le côté avec un regard qui demande si tout va bien.

J’ai un nœud à l’estomac, mais je garde la tête haute.

– Rien que je ne puisse pas gérer.

Si je le dis à voix haute, ça pourrait devenir réel.

– Merci, Faye.

Elle acquiesce et prépare les menus pour le groupe qui arrive derrière moi.

Le sentiment de malaise que je ressens monte d’un cran, mais je ne regarde pas vers la sortie. À la place, j’affiche un sourire sur mon visage et je me glisse entre les tables. J’arrive même à paraître cool lorsque je dis bonjour à quelques personnes : Mme Sullivan, mon ancienne professeure d’art au lycée ; Moira, une enfant que je gardais, assise avec un groupe d’amis en train de boire du vin, ce qui me rend officiellement vieille ; et Nathan.

Attends, quoi ?

Mes lèvres sont prisonnières de cet étrange sourire forcé, mais l’épingle qui le retient tombe au sol, emportant mon estomac avec elle. Faye l’installe avec ses parents à une table de l’autre côté du restaurant.

Je plisse les yeux, suppliant l’univers de se tromper. Mais c’est bien Nathan.

Non seulement il n’a pas de frère jumeau, mais il porte le pull que je lui ai acheté sur un coup de tête il y a deux ans parce que je pensais qu’il lui irait bien. Et j’avais raison, il lui va bien. Ses épaules ne sont pas très larges, pas comme celles de Ryan, mais elles sont mises en valeur par le pull, et la couleur bleu marine est parfaite sur lui. Ça lui donne l’air plus accessible. Mais pas moins inattendu. Pourquoi est-il ici aujourd’hui, alors qu’il aurait pu être là n’importe quel autre jour ? Je pensais qu’il ferait profil bas puisqu’il n’a pas été choisi pour être le prochain célibataire le plus convoité d’Amérique. La chaîne a confirmé la semaine dernière que David J., le chanteur, serait celui qui volerait le cœur de l’Amérique la saison prochaine.

Je presse ma main contre ma poitrine, mon cœur battant la chamade, et mon regard se promène de leur table à la table vers laquelle je suis censée me diriger, puis vers la sortie. Si je tourne à gauche au bar, je pourrai m’installer sans qu’il ne me remarque.

Sauf que sa mère m’a vue. Elle ouvre la bouche et relève le menton en signe de reconnaissance silencieuse, mais elle est assez attentionnée pour ne pas me faire signe. Parce que ça serait gênant. Sa mère m’adorait. J’adorais sa mère. Après qu’il m’a demandée en mariage, elle avait organisé une magnifique fête de fiançailles et m’avait appelée « la fille qu’elle n’avait jamais eue ».

En quoi cette journée est-elle en train de se transformer ? Les ex petits-copains quelques jours avant Noël ? Y avait-il une promotion dont le but est de Faire En Sorte Que Sorcha Se Sente Comme Une Ratée dont je n’étais pas au courant ? Ou est-ce que je suis l’actrice principale d’une nouvelle adaptation d’Un chant de Noël sans le savoir ?

Les gens s’occupent en lisant leur menu ou en inspectant leur fourchette avant de la reposer, mais ils nous regardent fixement. Moi. Lui. On pourrait penser qu’après un an, ce ne serait plus un scoop. Nathan vit dans la ville voisine et, bien sûr, il est à la maison pour les vacances. Il ne sait peut-être même pas que je travaille ici. Je ne travaillais pas ici quand on s’est rencontrés, quand on sortait ensemble, ou quand on s’est fiancés. Et ce n’est pas comme si on était restés en contact après qu’il m’a laissée en plan lors de notre cérémonie de mariage de conte de fées, qui s’est avérée être un cauchemar.

J’ai supprimé tous mes réseaux sociaux après ça. Et Swans Cove m’a soutenue… Comme dans les films Just Married (Ou Presque) et Fashion Victime. Aucun journaliste n’a obtenu de réponses, et aucun touriste ou aspirant influenceur n’a trouvé quelqu’un pour lui expliquer la disparition de #LaFiancéeSurLaTouche.

Mais depuis que cet article est paru dans Les Saveurs du Maryland, de plus en plus de personnes viennent goûter les plats de Plates & Drinks. En plus, Nathan doit bien manger quelque part. Et je ne devrais pas être si surprise qu’il sorte le jour où la chaîne fait l’annonce officielle. Le lendemain de sa fuite, on l’avait vu sortir avec ses parents, et non pas se recroqueviller dans sa chambre comme je l’avais fait. Surtout depuis qu’Aisling m’a dit que la chaîne faisait même une sorte de chasse au trésor pour les abonnés sur les réseaux sociaux. Nathan ne voudrait pas que quelqu’un pense qu’il se morfond.

Pas #LeFiancéEnCavale.

Même mes pensées semblent amères à ce stade.

La colonne de granit contre laquelle je me suis collée est froide contre ma joue. Je jette un coup d’œil en arrière. Mon rendez-vous, Trevor, est assis à la table. C’est Trevor, non ? Je ne peux même pas revérifier sur mon téléphone. Et je ne peux même pas me précipiter aux toilettes et me connecter à mon application de relaxation pour une rapide visualisation anti-stress l’espace d’une minute. Est-ce qu’il ressemble à sa photo ? De dos, c’est difficile à dire. Ses cheveux blonds bouclent vers la nuque. Il a un look de surfeur. Sophie approuverait.

Les remous dans mon estomac s’intensifient mais je les ignore. Continue de marcher, Sorcha.

Le rire de Nathan résonne et son père se joint à lui avec ce rire contagieux qui m’a toujours fait sourire. Mes lèvres ne se retroussent pas en ce moment. Un couple sur la droite me jette un coup d’œil en parlant entre eux, probablement pour faire des commérages à mon sujet. Ou discuter du menu. Un sentiment de malheur imminent envahit mon esprit, comme ce matin, mais en plus fort. Mais ça ne m’empêchera pas d’essayer de profiter de ma soirée. Nathan et Ryan ne vont pas tout gâcher à nouveau.

Je me redresse pour feindre une certaine confiance en moi et me dirige vers la table.

Je suis ici pour rencontrer mon merveilleux rendez-vous. Ou peut-être un futur fantôme qui viendra me hanter.

#LaFiancéeSurLaTouche est disponible en version e-book (Kindle, Google Play, Kobo, iBooks, la Fnac et plus…) ou version papier.

Merci!

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